Au Salon du Livre, on parle droit d’auteur sans liberté d’expression. actualitte.com

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Au Salon du Livre, on parle droit d’auteur sans liberté d’expression.

  actualitte.com Le samedi 21 mars 2015


La table ronde « L’Europe croit-elle encore à sa culture ? » organisée au Salon du Livre de Paris en présence, notamment, du commissaire européen Pierre Moscovici, de Fleur Pellerin et de son homologue polonaise, promettait un débat de haut vol. Mais le manque de contradicteurs et l’obsession pour la réforme du droit d’auteur ont tiré l’événement vers le bas. Malaise.

Pierre Moscovici et Pierre Dutilleul (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

Le débat « L’Europe croit-elle encore à sa culture ? » a rapidement tourné en « Pourquoi l’Europe se mêle-t-elle de droit d’auteur ? » Sur la scène, on retrouvait Pierre Dutilleul, président de la Fédération européenne des éditeurs, en modérateur, Jean-Marie Cavada, eurodéputé européen qui ne cache pas son opposition à toute réforme du droit d’auteur, Richard Charkin, président de l’Union internationale des éditeurs, et Michel Lambot, cofondateur et coprésident du label PIAS.

Et un auteur, Éric-Emmanuel Schmitt. Les ministres de la Culture Fleur Pellerin et Małgorzata Omilanowska (Pologne), ainsi que Pierre Moscovici, commissaire européen, étaient également présents, mais ne participeront au débat que par l’intermédiaire de discours.

Inutile de connaître la chaîne du livre sur le bout des doigts pour se rendre compte que la rencontre manquait singulièrement de contradicteurs : bibliothécaires, librairies, auteurs moins « installés » que Éric-Emmanuel Schmitt… Personne n’était présent pour défendre – sinon débattre, autour du rapport Reda ou encore évoquer les pistes possibles d’une réforme du droit d’auteur au niveau européen.

Forcément, puisque le débat est houleux et qu’il intéresse plus largement qu’on voudrait le faire croire, un participant au débat, se présentant comme un « pirate », a interrompu les discussions pour faire entendre un autre point de vue.

Comme il est possible de l’entendre à la fin de cette vidéo, le modérateur Pierre Dutilleul promet une session de questions à la fin de l’événement. Cette session n’aura pas lieu – on aurait eu tort d’espérer le contraire.

Mais nous reviendrons sur la portée de cet incident plus tard. Parallèlement à cette rencontre, la Fédération européenne des éditeurs lançait une nouvelle campagne destinée à devenir virale, si les réseaux le veulent bien : #CopyrightForFreedom.

Autrement dit, un texte, largement consensuel, qui appelle à « soutenir le droit d’auteur, la seule législation qui permet de garantir notre liberté, de garantir la diversité de nos cultures ». Le document ne se prive pas de simplifications, pour parvenir à ses fins : « Au Parlement européen, l’unique députée pirate cherche à faire croire que le droit d’auteur est dépassée et à faire de ce droit fondamental, une coquille vide. »

La réalité est un peu loin de ce compte-rendu : l’eurodéputée du Parti Pirate, Julia Reda, n’a pour l’instant fait que rendre un rapport avec des propositions qui prennent en compte la directive européenne sur le droit d’auteur de 2001 et les résultats d’une consultation menée l’année dernière auprès des industries culturelles, bien sûr, mais aussi des bibliothèques, institutions, auteurs, et consommateurs. Cette consultation faisait ressortir plusieurs problèmes relatifs à un manque d’harmonisation européen, notamment la territorialité ou des exceptions trop disparates.

Le Copyright n’est pas le droit des créateurs, ni leurs intérêts matériels

Mais le ressort le plus détendu de cette campagne se trouve probablement dans ce hashtag volontairement trompeur, #CopyrightForFreedom. La Fédération européenne des éditeurs confond avec ce titre, et dans le texte, les droits du créateur et la propriété intellectuelle. Le copyright ne correspond pas aux droits du créateur, ce que l’ONU a rappelé dans un récent rapport.

« Les intérêts moraux et matériels des auteurs sont largement tributaires des politiques en matière de droits d’auteur, lesquelles n’assurent pas toujours une protection adéquate de la paternité de l’œuvre. Il arrive aussi souvent que la législation sur les droits d’auteur aille trop loin, limitant inutilement la liberté culturelle et la participation », notait ainsi la rapporteuse de l’ONU.

Le Salon du livre de Paris est coorganisé par Reed Expositions et le Syndicat national de l’Édition, et les invités choisis relèvent de leur seule responsabilité. Mais l’absence de bibliothécaires, français ou européens, est particulièrement dommageable dans un débat apaisé autour du droit d’auteur. Les bibliothécaires ont en effet manifesté leur soutien au rapport Reda, parce qu’il avance des hypothèses facilitant leur métier et la diffusion de la culture.

L’exception au droit de prêt pour les livres numériques, par exemple, si elle était harmonisée dans l’Union européenne, permettrait de mettre en place un système de rémunération pour les créateurs, transparent et favorable à tous les créateurs. Pour le moment, dans toute l’Europe, les éditeurs fixent leurs conditions de prêts, limitant l’accès aux livres et réduisant les possibilités budgétaires des établissements. À l’arrière-plan, notons-le, Amazon dispose d’un service de prêt dans son environnement Kindle…

La main dans le sac à Creative Commons

Le hasard fait bien les choses : au moment où les éditeurs européens et internationaux appelaient à un respect immuable du copyright, l’Union internationale des éditeurs commettait une belle infraction au droit d’auteur (et non au copyright). L’UIE a en effet utilisé une photographie d’ActuaLitté placée sous licence légale Creative Commons (CC BY SA 2.0), sans citer le créateur original. L’Union a depuis retiré la photographie, et s’est excusée auprès du journal.

Une erreur humaine, assurément, mais révélatrice d’un certain fossé entre intention et actes. Et qui rappelle celle de l’éditeur Elsevier, qui fait partie du même groupe que Reed Exposition.

Auteur, mon ami, mon semblable, mais pas trop

Parlons de droit d’auteur : le dernier baromètre des relations entre auteurs et éditeurs, présenté par la Scam et la SGDL, révèle que 6 auteurs sur 10 considèrent qu’elles sont insatisfaisantes, voire conflictuelles. La rémunération des créateurs est devenue une question cruciale, urgente, et plusieurs marches ont eu lieues. Si la défense de la propriété intellectuelle est un sujet de choix pour l’édition, le taux de rémunération des auteurs l’est beaucoup moins, évidemment.

Lorsqu’il interviendra après ce débat à sens unique, Pierre Moscovici rappellera d’entrée de jeu que « la Commission n’est pas l’ennemi ». La suite de son discours viendra rappeler certains faits : la France fait partie de l’Union européenne, une entité née d’une volonté à la fois économique et culturelle, l’UE a consulté des consommateurs (qui financent en premier lieu la culture), des problématiques ont été identifiées. Reste maintenant à effectuer des propositions équilibrées pour les résoudre, et créer un marché unique numérique européen.

« Le droit d’auteur est et doit rester un instrument de promotion de la créativité, de la diversité culturelle, de la protection des investissements, de la rémunération des créateurs. Dans les débats de la commission, je ne m’en écarterai pas », rassurait ainsi Pierre Moscovici. « Mais un certain nombre d’acteurs seront amenés à changer leur comportement », ajoutait-il.

Dans un système politique comme l’Union européenne, la Commission a besoin de la coopération des différentes autorités nationales, particulièrement en matière de culture. L’eurodéputée devenue la cible des industries culturelles françaises déplorait elle-même sur son blog un refus absolu du dialogue.

Il serait temps de l’intégrer dans les débats : aucune session de questions ne sera donc organisée à la fin de cette rencontre sur l’Europe et sa culture. À la place, Pierre Dutilleul introduira la conférence suivante, sur… la liberté d’expression. Sinistre.

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