Autoédition : les auteurs “contraints de trouver d’autres revenus”

Autoédition : les auteurs “contraints de trouver d’autres revenus”

Nicolas Gary / actualitte.com/

Rarement la rentrée littéraire aura été aussi mouvementée. La dernière en date, qui avait tout de la non-information, vient de faire trembler le Landerneau. Encore échaudés par l’apparition d’un auteur autopublié chez Amazon, les libraires ont paniqué. En effet, l’autrice, scénariste et vidéaste Samantha Bailly a décidé de devenir autrice hybride.

Fuente original: Autoédition : les auteurs “contraints de trouver d’autres revenus”.
Les auteurs refont Mai 68 à Angoulême
ActuaLitté, CC BY SA 2.0

Une démarche qui n’a rien de surprenant, puisque rappelons qu’elle a été découverte sur Internet par ses lecteurs. Alors qu’elle était au lycée, son succès en ligne qui avait attiré l’attention de son premier éditeur.

Auteur hybride, un possible avenir

Tout part d’une erreur induite par un titre d’article maladroit dans la presse : « Je n’ai jamais choisi de commercialiser un livre uniquement chez Amazon  », soupire Samantha Bailly, un peu lasse. « J’ai décidé d’expérimenter la commercialisation numérique, par tous les canaux qui sont donc disponibles. Comme le ferait n’importe quel éditeur. » Et ce, pour un roman qu’elle souhaite exploiter elle-même dans un premier temps en numérique.

« Le constat que j’opère, comme tous les auteurs, c’est que les revenus diminuent. Et que l’édition numérique permet un complément de revenu intéressant. »

C’est loin d’être le premier cas dans l’édition d’un auteur qui choisirait, alors qu’il passe par une maison traditionnelle pour les ouvrages papier, d’exploiter numériquement son œuvre. Ou une œuvre à venir. Ici, l’opération est un peu différente.

« L’auteur ne peut pas être le prisonnier d’injonctions paradoxales. On ne peut pas et lui interdire toute exploration pour tenter de gagner sa vie en dehors du schéma de l’édition traditionnelle, sans que l’édition traditionnelle lui donne des conditions décentes pour vivre. Nous nous retrouvons acculés, et contraints de trouver de nouvelles formes de revenus. La discussion n’est pas nouvelle. »

Autoédition et niveau de vie

Dans un entretien accordé au Monde, le PDG du groupe Hachette mettait les pieds dans le plat, comme à l’accoutumée : « De façon marginale, une poignée de textes émergent dans l’autoédition. Mais leurs auteurs ont besoin de nous pour obtenir l’audience, le prestige, la reconnaissance et l’argent. »

Une assertion d’autant moins vérifiée qu’à ce jour, 41 % des auteurs vivent avec moins que le SMIC. Et que le PDG contredit d’ailleurs un peu plus loin dans ses propos, en affirmant : « La “best-sellarisation” concentre aussi davantage de droits sur un tout petit nombre d’auteurs. »

Le constat est donc simple : il faut faire confiance aux éditeurs, car ils détiennent les clefs, mais ces derniers constatent dans le même temps que le marché se réduit autour de quelques gros vendeurs…

Pour le PDG du groupe Hachette, il faut surtout « se méfier des sentiments et regarder des chiffres. Le marché du livre a baissé de 2 à 3 % sur deux ans. Tous les maillons de la chaîne du livre en subissent les conséquences : les auteurs, les éditeurs, les imprimeurs, les distributeurs, les diffuseurs et les libraires, qui eux aussi disent que c’est difficile ».

À la recherche du temps passé ?

Pour Samantha Bailly, croire en l’édition traditionnelle n’est pas un problème, « mais il faut nous aider, et surtout regarder en face la situation actuelle des auteurs. À ce titre, nous serions ravis que les libraires de tous les horizons aident les auteurs à construire des solutions. De l’expérimentation, de l’imagination, c’est aussi l’avenir ».

Denis Bajram, le dessinateur, ne disait d’ailleurs pas autre chose dans les colonnes de ActuaLitté, évoquant l’avenir des auteurs BD. « De plus en plus se payent même des écoles d’Art privées en espérant atteindre plus vite le succès, alors que de fait ils ont investi une petite fortune dans une loterie où très peu gagneront. »

Toute l’aventure de la commercialisation numérique, pour Samantha Bailly, revient à souligner que « l’édition dans sa tendance globale est dans une compression de temps de création très importante. Or du temps, nous en avons besoin pour expérimenter, tester, faire mûrir un ouvrage. De même, les contrats d’édition proposés visent souvent à prendre à l’auteur tous ses droits, pour la durée de la propriété intellectuelle. Ces pratiques ne sont plus le reflet de la durée de vie réelle des ouvrages. C’est aussi toute une jeune génération qui est en souffrance, il ne faut pas l’oublier. »

En apprenant la nouvelle de cette autopublication numérique, des messages parfois haineux lui sont pourtant parvenus. « Que les libraires s’indignent quand on vend des livres numériques c’est très bien. Pourquoi ne s’indignent-ils pas quand les auteurs jeunesse ne touchent que 3 % de droits d’auteur ? », s’indigne une illustratrice jeunesse. « Je suis libraire et je suis outrée par la réaction de mes confrères. On parle d’une publication NUMÉRIQUE ! Cela ne change rien à vos ventes, cela ne change rien pour les libraires. Mais pour les auteurs, cela peut être un pas en avant. »

Plume pas mon auteur
ActuaLitté, CC BY SA 2.0

Justement, ce point est également passé en revue par le président de Hachette : « Pour les auteurs jeunesse, il y a une particularité : ces livres sont vendus moins cher que les romans et les taux de droits sont moins élevés. En BD, on essaie de donner des avances pour que les auteurs passent l’année à créer leur œuvre. Ce débat doit se régler auteur par auteur. Je ne crois pas au statut d’intermittent de l’édition. »

C’est bien là tout le problème, indique Samantha Bailly : « A un moment, il faut comprendre que les auteurs qui veulent vivre de leur création, qui rapportent de l’argent à toute une industrie, éprouvent un mal-être profond. En littérature jeunesse, c’est criant, avec des pourcentages inférieurs qui sont considérés comme une norme, alors qu’il s’agit d’une discrimination pure et simple. Si ma propre initiative personnelle révèle une crise aussi systémique, ce n’est pas rassurant. Je suis en tout cas solidaire de mes pairs, et surtout, je veux voir ce métier continuer d’exister. »

Jeter l’éponge : le cas de Maliki

La semaine passée, Maliki annonçait la sortie du troisième tome de son roman, Des Milliers de murmures. L’occasion d’un bilan, d’une amertume douloureuse. Elle reconnaît pour l’occasion avoir renoncé à produire une bande-annonce pour le livre, habitude qu’elle avait pourtant prise.

Et d’expliquer : « Car malgré l’envie que j’ai de vous le faire découvrir, après 2 autres romans déjà parus, je connais déjà plus ou moins son destin. Et je crois que ça me blase un peu. » (illustration de Maliki)

Car la réalité des livres est désormais connue de tous les auteurs. « Comme la plupart des nouveautés qui inondent le marché, il va se retrouver posé en rayon une semaine, et disparaîtra la semaine suivante dans les limbes de la confidentialité. Une semaine pour convaincre. Peut-être deux… » Le tout pour un travail de neuf mois, sans compter ses heures.

Or, et là encore, le constat est brutal : la sélection ne s’opère pas par le truchement des lecteurs, « la qualité d’une œuvre, c’est secondaire », déplore l’auteure. « Un gros éditeur sort des dizaines de titres par mois. Parfois plus. Sur cette pléthore de titres, il va décider de miser gros sur un ou deux auteurs sûrs ou prometteurs. Les autres ? Ils servent à gonfler la masse des faire-valoir. »

La conclusion s’impose : « [J]e n’ai plus envie de me (dé)battre dans ce panier de crabes. Donc, à moins que le statut des auteurs se transforme radicalement, à force de luttes et de coups de gueule comme celui-ci, ce sera le dernier roman que je publierai à compte d’éditeur. »

Déstabilisante édition, oppressée

Il ne s’agit pourtant pas de jeter la pierre sur les éditeurs. À ce titre, une salariée de grand groupe souligne : « Le travail éditorial, aujourd’hui, il nous faut l’accomplir avec des délais de plus en plus serrés, en maintenant un niveau de production élevé. En l’espace d’une dizaine d’années, tout le monde a pu constater une dégradation des conditions de travail. »

Pour elle, « le métier d’éditrice évolue, pour les salariés, et nous sommes souvent en proie à la frustration face au manque de temps. Accompagner un auteur durant vingt ans, ou même dix ans, cela n’existe plus. On nous demande une rentabilité au titre, et l’idée d’une collaboration sur le long terme se heurte à cette réalité ».

La rentabilité au titre, n’est pas la fin de la prise de risque ? Car on ne voit plus la carrière possible de l’auteur, mais le coup éditorial qu’il faut impérativement jouer.

Et en observant les chiffres du secteur jeunesse, dont la production a plus que triplé en vingt ans, quand ses parts de marché n’ont que doublé, on imagine comment cela a pu se produire. Bien entendu, Harry Potter et Twilight jouent pour beaucoup. Mais combien d’auteurs laissés pour compte à ce titre ?

L’aventure seul, ou la démarche entrepreneuriale

Au fil du temps, les auteurs se sont vus chargés de plus en plus de travaux qui incombaient à leur éditeur. Dans le secteur BD, particulièrement, plusieurs dessinateurs nous ont expliqué qu’ils réalisaient eux-mêmes les scans de leurs planches, pour les envoyer à la maison.

« Comme on demande aux auteurs de prendre en plus en plus sur eux une charge du travail, ils se forment. Et apprennent. Toute une génération est en train de multiplier, parfois malgré elle, ses compétences. Mais franchement, tout le monde n’en a pas envie », reprend Samantha Bailly.

Pour elle, « l’histoire de mon roman autopublié en numérique est l’arbre qui cache la forêt. Malgré beaucoup de pédagogie pour expliquer cette expérience d’observation, et surtout l’idée qu’un auteur puisse être aux manettes en numérique tout en étant dans l’édition traditionnelle, cette simple iniative a cristallisé des réactions vraiment incroyables. L’industrie change, les auteurs aussi. La prise de risque s’est déjà déplacée vers les créateurs, qui investissent leur temps à perte. C’est pourquoi aujourd’hui ce mal-être devient si fort. Plutôt que de s’en prendre aux auteurs qui cherchent des revenus complémentaires, n’est-il pas simplement temps que la chaîne du livre fasse montre d’une véritable solidarité envers son premier maillon ? ».

Et de conclure : « Nous ne pouvons pas continuer d’être à l’origine de la chaîne, sans être reconnus comme exerçant un métier. Défendre les auteurs et le rayonnement français, c’est leur permettre de créer dans les meilleures conditions possibles. »

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