Chez La Martinière/Le Seuil, “on casse notre identité et nos acquis sociaux”
— 14 diciembre, 2018Antoine Oury / actualitte.com/
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« Sur l’ensemble des équipes de La Martinière, 27 personnes sont concernées », explique-t-on à ActuaLitté. Direction juridique, direction des affaires financières, ou encore service comptabilité et DRH… Si les projets de reclassement au sein de Média participations (Dargaud, Dupuis, Lombard, entre autres) ont pu aboutir, ils ne concernent que très peu de personnes. A priori, les éditions du Seuil ne seraient pas concernées par le PSE.
« Évidemment, les métiers supports représentent des postes qui font doublon avec la structure du groupe », poursuit une responsable. « Pour autant, supprimer les postes des directions éditoriales Beaux livres et Jeunesse, ce n’est pas de l’élagage, c’est du tronçonnage. » Surtout qu’en juin dernier, Séverin Cassan, nommé directeur général délégué, se retrouve à la tête du groupe La Martinière.
« C’est une personne qui vient de chez Orange, section marketing. Autant dire que s’il nous a assuré qu’il aimait lire, produire des livres n’est pas son cœur de métier », déplore un éditeur. « Équipe en roue libre », bien que soient maintenus les postes d’éditeurs et d’éditrice, c’est donc un quart des effectifs qui sont amenés à partir.
« Le fait est que nous travaillons dans une ambiance délétère, depuis des mois, puisque l’on a signifié leur départ à certaines personnes dès juin 2018. Et évidemment, cela se propage pour gagner les équipes de Seuil : tout le monde est inquiet. C’est le premier coup porté, maintenant à quand le suivant ? »
Il est rare que les PSE offrent d’occasion de réjouissances, mais en attendant, le volet éditorial de La Martinière souffre. « On nous demande de faire des business plans, comme si l’on travaillait avec un contrôleur de gestion. Mais plutôt que des colonnes Excel, ce sont des livres que nous devrions produire. »
Pour les salariés, des acquis sociaux remis en cause
Lors de l’Assemblée générale de ce jeudi 13 décembre, Claude de Saint-Vincent, directeur général du groupe Média-Participations, est venu répondre aux questions des salariés, très remontés contre des annonces récentes de la direction. En premier lieu, la dénonciation d’un accord groupe, qui accordait un mois de salaire par années d’ancienneté, dans une limite de 20 ans, en cas de licenciement économique. « Aucune négociation n’a encore été engagée sur le sujet », nous explique Isabelle Detienne, de la CFDT.
À cette dénonciation s’ajoute la renégociation de l’accord sur l’aménagement du temps de travail. « Le projet de la direction est de nous diviser avec, pour les métiers éditoriaux, la perte de 10 jours de RTT pour tomber à 8, comme chez Dargaud, et pour les métiers supports, le passage pur et simple aux 35 heures. On nous laisse jusqu’au 31 janvier pour cette négociation, nous demandons un report d’un an », indique Isabelle Detienne.
Enfin, la mutuelle des salariés connaitrait aussi des modifications : les salariés cotiseront à 40 %, contre 18 % auparavant, ce qui ramène le montant mensuel à 40 €, sans couverture pour le conjoint, contre 22 € auparavant, avec une couverture pour le conjoint. « Nous y avons toutefois donné un avis favorable », indique Isabelle Detienne, « car la direction s’est engagée à mettre en place une compensation sur les bas salaires à l’occasion de la négociation annuelle obligatoire de 2019 ».
Face aux protestations des salariés, la direction s’est engagée à verser la « prime Macron », soit 500 € pour les salariés touchant moins de 32.500 € bruts annuels et 300 € pour les moins de 40.000 €.
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Le débrayage d’une heure engagé ce jeudi 13 décembre est un « signal » pour la négociation de janvier, explique-t-on dans les rangs des mobilisés. « L’objectif est de faire entendre à la direction que les RTT sont un acquis social obtenu de longue lutte et que nous ne voulons pas les perdre. C’est aussi une manière de dire stop… On casse notre identité et nos acquis sociaux. » Parmi les revendications, donc, la mise en place de cette période d’observation d’un an, que la direction ne semble pas vouloir valider.
L’ambiance est à l’économie
Exemple significatif de l’atmosphère, nous assure-t-on : « Auparavant, nous pouvions acheter des livres du groupe avec une remise de 40 %. Désormais, elle est passée à 20 %. » Pas de petits profits, dans une quête de retour à la rentabilité : le rachat d’un groupe déficitaire, La Martinière, par un groupe bénéficiaire, Média-Participations, a abouti à une volonté d’économies massives.
Pour autant, relativise un observateur, proche du dossier, « Média se retrouve actuellement dans la pire et la plus désagréable des situations : il faut arrêter l’hémorragie d’un groupe qui perdait plusieurs millions d’euros par an. La fusion doit s’opérer, et s’accompagne forcément d’un PSE, c’est inévitable. »
D’autant plus que le marché « est actuellement dégueulasse, quel que soit le mal que l’on puisse se donner. La direction de Média a cherché à mettre en place des synergies avec les différentes structures qu’elle a intégrées — et donc réaliser des optimisations, notamment sur les coûts d’impression. Cela fonctionne, il faut regarder les choses en face. »
Pour d’autres, ces réductions d’acquis sociaux incarnent surtout la préparation d’un terrain plus favorable à de futurs plans sociaux. Et, plus loin, à une opération de nivellement : « Dans les négociations sur les RTT, on nous a expliqué qu’il fallait harmoniser les filiales, d’où cette descente à 8 jours, comme Dargaud. Mais Fleurus en a encore 14 : il n’est pas difficile d’imaginer dans quel sens vont aller ces ajustements. »
La perspective du déménagement des équipes Seuil/La Martinière ajoute de l’huile sur le feu, « pourtant il faut reconnaître que les nouveaux locaux de Média participations sont nettement supérieurs ». Avec des problématiques toutefois connues : le passage à des Open Space, là où les éditeurs et éditrices disposaient de bureaux fermés. « Personne ne nous a proposé de solution, pour les moments où l’on doit se retrouver avec un auteur. Il n’est pas possible de travailler et de discuter d’un texte, sans la possibilité de s’isoler. »
Dans les rangs des mobilisés, devant le siège de La Martinière, près de la Porte d’Orléans à Paris, on souligne surtout la « grosse année, beaucoup de réunions et des équipes qui ont parfois du mal à suivre ». Le mouvement, lui, devrait se poursuivre au mois de janvier, à l’occasion de nouvelles négociations.