Conflit dHachette et Amazon : King Kong contre Godzilla
— 11 mayo, 2014Conflit dHachette et Amazon : King Kong contre Godzilla.
Nicolas Gary. actualitte.com 10/05/2014
La tension est montée rapidement, alors que Hachette Book Group a rompu sa tradition de silence autour des négociations commerciales, avec les revendeurs de ses livres. La filiale américaine a accusé directement Amazon d’introduire un délai excessif – et totalement injustifié – pour la livraison de ses livres papier. Pour certains titres, il faut compter entre 2 et 4 (voire 5) semaines avant de se faire expédier le livre concerné. Un signe des temps évident pour l’Américain.
« Nous avons posé des questions légitimes sur les raisons qui font que nos livres sont présentés comme indisponibles, avec une période d’expédition estimée qui est relativement longue », a dégainé la filiale américaine du groupe français. Le problème est simple : les titres sont vendus sur toutes les plateformes américaines du moment, sans qu’aucune ne présente de pareils délais. « Pour des motifs qui leur sont propres », considère HBG, les équipes d’Amazon ont donc décidé de frapper là où ça fait mal : les ventes.
Aujourd’hui que la firme de Jeff Bezos est devenue l’un des plus grands noms de la vente de livres en ligne, sa puissance est telle qu’elle peut exercer une (très) forte pression y compris sur des groupes internationaux. Et les éditeurs ont rarement d’autres choix que d’accepter les termes imposés – plus que négociés. Pour certains, cette tentative de prise d’otage serait une tactique destinée à octroyer une meilleure remise sur la vente des livres. De quoi permettre, par la suite, de vendre avec de meilleures marges – sans nécessairement appliquer de remises supplémentaires pour les clients.
D’autres assurent que cette opération intervient alors qu’Amazon avait proposé aux éditeurs et agents de « revisiter complètement les termes contractuels, à la fois pour le papier et sur les livres numériques ». Une discussion qui a, manifestement, tourné court… Le désaccord manifeste entre les deux – trois – parties, aurait alors conduit le revendeur à opérer les modifications dénoncées dans la presse.
Ce que l’on n’oubliera pas de noter, c’est que le jeu entre fournisseurs et revendeurs ne date pas d’hier : tout le modèle capitaliste repose d’ailleurs sur cette relation, qui est censée se passer dans l’intérêt commun malgré tout. « Le problème, c’est que l’économie libérale fonctionne parce qu’elle dispose de règles communément admises, et que les acteurs du marché ont adopté un comportement rationnel. Mais quand on a un chien fou comme Amazon, capable de dire à ses actionnaires ‘Je vous paierai dans 10 ans’, alors l’économie libérale se désagrège toute seule », analysait un acteur du livre, en marge de la Foire du livre de Londres.
Une histoire de Géants et de testostérone ?
Pourtant, Amazon ne joue pas des coudes aussi fortement que l’on tente de le dire : les versions numériques des livres sont toujours mises en vente, pour exemple. Bien entendu, cela permet au marchand de préserver ses intérêts, en valorisant son service de vente d’ebooks, et son format propriétaire. Si Amazon avait réellement souhaité faire très mal à Hachette Book Group, peut-être aurait-il été plus simple encore de supprimer toutes les fiches produits des livres publiés – ebook, occasion, poche, grand format… Une journée aurait suffi pour rouler des mécaniques, et, probablement, que l’éditeur cède. Cependant, on ne met pas le même type de couteau sous la gorge du groupe Hachette qu’on le ferait avec un petit éditeur indépendant.
Supprimer tous les livres de HBG aurait incité les clients à s’ouvrir des comptes chez d’autres vendeurs en ligne – impossible pour Amazon de se priver des auteurs de renommée internationale que le groupe publie. Alors, plutôt que de mettre un katana sous la gorge de Hachette, c’est un opinel – voire un opinel en plastique. Or, il est suffisamment bien placé, pour que l’éditeur sente la pression. En fait, on assisterait plutôt à l’affrontement de deux gorilles de 500 kg, qui se frappent chacun fort sur le torse en criant bien fort, dans un exercice d’intimidation respectif. Le fait que Hachette ait pris l’initiative d’en parler dans la presse le met dans la position de la victime. Au moins en apparence…
La question ne tourne d’ailleurs pas simplement autour du délai de livraison : Amazon a décidé de frapper bien plus subtilement. En effet, s’ajoute à la période d’attente pour le client, la question du prix se pose. Le livre de Malcolm Gladwell, Outliers, était proposait pour 15,29 $, avec simplement 10 % de remise – alors que dans le même temps, on le retrouvait sur Barnes & Noble pour 12,74 $.
Et pour couronner le tout, sur certaines pages d’auteurs proposent, avant même le livre, des produits similaires, présentés comme « moins chers », que l’on retrouve introduit entre la barre de navigation et la présentation même d’un des ouvrages de Hachette. Un moyen comme un autre de décourager le client de réserver un titre à venir.
Souvenirs, souvenirs
En 2010, Macmillan avait connu une âpre période de négociation avec Amazon, et pour faire tomber l’éditeur de son piédestal, la firme de Seattle avait décidé tout simplement de supprimer le bouton Achat, des fiches produit. Il était devenu impossible de se procurer une version neuve de l’ouvrage – alors que les versions d’occasion étaient toujours commercialisées.
Dans le même ordre d’idée, en 2012, le distributeur de l’Independant Publishers Group avait vu 5000 ebooks disparaître des étals numériques. Mark Suchomeil, le PDG, expliquait à l’époque qu’Amazon souhaitait faire changer les conditions de commercialisation : « Ce n’était pas raisonnable. » Mais une fois les ebooks disparus, il avait fallu s’asseoir autour de la table, et reprendre les négociations, plus longues, et plus apaisées. Les ouvrages numériques n’étaient revenus qu’au terme des échanges.
On se retrouve ici bien dans le cas de figure où un éditeur, un groupe, qu’importe, refuse de céder aux demandes formulées par le cybermarchand. Et Hachette peut bien se défendre en assurant qu’il satisfait toutes les demandes actuellement formulées sur la livraison et l’approvisionnement du revendeur : tant que l’on ne saura pas quel est le fond du problème, impossible de déterminer le degré de responsabilité de l’un ou de l’autre.
Les deux gorilles continueront de faire du bruit dans la brume. Chose amusante, le livre de Diane Mossey est bien publié chez Houghton Mifflin Harcourt, filiale du groupe Hachette, mais la page Amazon indique sa livraison sous 24 h. Le livre a été publié en 2000.
Aimer, c’est regarder ensemble dans la même direction ?
Et puis, Barnes & Noble, autre chaîne de librairie américaine, n’avait-elle pas connu les mêmes échanges musclés avec l’éditeur Simon & Schuster, avant de parvenir à un accord ? C’est en août 2013, après plusieurs mois de conflit ouvert (début des hostilités en janvier 2013), que le libraire avait mis fin à l’embargo déclaré sur les ouvrages de l’éditeur. « De fait, nous pensons avoir gagné des parts de marché dans le livre physique à l’occasion des fêtes. En tant que plus grande librairie physique de notre nation, Barnes & Noble appuie les éditeurs qui soutiennent nos librairies », assurait le libraire. Or, l’un des fonds du problème était le manque de soutien commercial du groupe S&S, alors que B&N était sévèrement concurrencé par… Amazon.
Wall Street fait grise mine, Amazon taquine
Bien entendu, l’idée suggérée que les actionnaires d’Amazon souhaitent voir des retours sur investissements n’est pas incongrue. Les actions ont chuté de 25 % cette année, et les bénéfices sont longs à venir. Pressuriser les fournisseurs pour faire de meilleures marges compte parmi les pratiques auxquelles tout revendeur est en mesure de recourir.
Dans un communiqué, Hachette a présenté toutes ses excuses « pour la patience des auteurs et de tous les lecteurs d’Amazon ; nous travaillons pour parvenir à un accord, et inciter Amazon à rétablir l’accès aux ouvrages de Hachette Book Group dans des délais de livraison normaux ».
Jeff Bezos seul sait quand l’affaire se conclura. On est en tout cas bien long, désormais, de l’enthousiasme de certaines maisons et des groupes qui, voyant l’ouverture d’Amazon en 95 comme une alternative à la puissance des chaînes de librairies, avaient salué l’initiative de Bezos. Les conditions commerciales, largement favorables par le passé, ne sont aujourd’hui plus vraiment à l’ordre du jour.
Surtout que la société compose désormais avec le bon vouloir des fluctuations boursières. Et ces derniers temps, Wall Street n’est pas vraiment tout sourire.
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