Gegen Buchmasse : l'autre foire du livre de Francfort, antifasciste

Gegen Buchmasse : l’autre foire du livre de Francfort, antifasciste.

 . actualitte.com 14/10/2013

 Frankfurt nazifrei », « Rebel with a cause », « Nazi fuck off »… Les stickers intimant la réaction contre la montée du racisme et du fascisme se sont multipliés dans le quartier de Bockenheim. Alors que la Foire du livre (Frankfurt Buchmesse) bat son plein à quelques mètres, au centre de la ville, le Café ExZess organise sa propre foire, « Gegen Buchmasse », pour les éditeurs absents du plus grand Salon du livre du monde…

Guidé par les stickers, difficile de manquer le Café ExZess : l’imposante façade, couverte de graffitis, est barrée d’une toile invitant à la solidarité et au rassemblement, les « meilleures armes contre la crise et le fascisme ». Ce vendredi soir, la lueur provient d’un écriteau « Infoladen » : la porte franchie, le visiteur entre dans une librairie un peu spéciale, plus proche d’une bibliothèque.

L’établissement, autogéré depuis 1986, se pose comme un endroit non commercial : les livres ne sont pas vraiment vendus, mais plutôt prêtés, ou cédés à un prix fixé par l’acheteur. Les étagères croulent sous les centaines de livres : au premier abord, les sujets semblent surtout historiques ou politiques, mais des couvertures révèlent vite leur orientation artistique, musicale ou littéraire. Certains viennent de bibliothèques privées, d’autres des stocks des éditeurs, tous sont des dons.

Il y a eu plusieurs vies entre ces murs : derrière la librairie, un vaste hangar qui a abrité pendant 40 ans, jusqu’aux années 1960, un cinéma, avant que l’endroit ne soit désaffecté et laissé à l’abandon. « Tout le bâtiment est la propriété du gouvernement : dans les années 80, les autorités ont voulu en faire un centre pour la jeunesse, mais le voisinage s’est réuni pour en débattre, parce qu’un autre centre existait déjà dans le quartier », explique Brüno, anneau à l’oreille, un des bénévoles qui gèrent cet endroit placé sous le signe du DIY («Do It Yourself »). Un petit vieux, l’air d’avoir mille ans, passe derrière lui, livre à la main, clope à la bouche.

Le dernier jour du bail de la ville, près de 200 personnes se réunissent de façon informelle, se répartissant entre le vieux Café, en façade, et la large salle de cinéma. Puis cassent les murs à coup de masse, se joignant aux rythmes d’un groupe venu participer à la fête. Comme un coup d’envoi : l’endroit devient un squat, et ses occupants commencent à élaborer un plan pour transformer l’espace.

« Ici, personne ne gagne d’argent », souligne Brüno, « la volonté première est de faire de cet endroit un lieu contre toutes les discriminations : racisme, sexisme, homophobie ou antisémitisme. » Dont acte : des pièces de théâtre, débats, rencontres ou fêtes sont organisés pour promouvoir l’entente et le partage. « Ce lieu est ouvert à tous, à l’exception des partis politiques, même ceux d’extrême gauche», note Brüno avec un sourire. Car chacun aura remarqué que le fond de l’air est rouge…

Un espace pour ceux qui ne peuvent pas se l’offrir

Le lendemain, la Gegen Buchmasse a véritablement commencé : l’endroit est bondé, la buée se dépose sur les lunettes à l’entrée dans le Café ExZess. Un gamin de 8 ans sert les bières, à un prix dérisoire. Le petit vieux est toujours là, penché au-dessus d’une assiette de soupe : un buffet a été organisé, tandis que l’ancienne salle de cinéma accueille une présentation de 6 ouvrages pour la soirée.

« Nous ne faisons pas fonctionner cet endroit en vendant des livres, de toute évidence : nous louons l’endroit au gouvernement, et les dons des visiteurs, ainsi que l’argent récolté avec la vente de boissons et de nourritures, nous permettent de payer le loyer », explique Brüno. Là où l’on aurait pu s’attendre à de vieux activistes, rassemblés par nostalgie, les jeunes essaiment, partageant une bière comme dans n’importe quel autre bar.

Dans le cinéma, une lecture est en cours : Wenn der Hahn Kräht (edition fünf), un recueil d’histoires brésiliennes. Le pays est d’ailleurs l’invité de la Foire du Livre de Francfort, « l’officielle » : « Nous ne sommes pas contre la Foire du Livre », rectifie d’emblée Brüno, « Nous offrons simplement aux éditeurs de gauche un espace pour présenter leurs livres, parce que le prix des stands est très élevé à la Buchmesse. » Certains noms sont explicites (PapyRossa, Open Books), d’autres moins (Verlag Edition Assemblage, Ventil Verlag)…

De temps en temps, comme pour des endroits comme La Miroiterie à Paris, le gouvernement tente de fermer l’endroit, « mais ils ne veulent pas avoir de problèmes, alors ils préfèrent laisser les gens se réunir ici », explique Brüno. Les règles sont minimales, le respect et la bienveillance de mise. Tout, des tee-shirts aux graffitis, en passant par les livres, promeut la libération personnelle, et la non-aliénation à ce que la société peut imposer.

Le combat continue

« Cet endroit a toujours été un lieu de rassemblement pour les militants antifascistes », souligne un de ceux venus ce soir-là. « Ici, vous n’êtes pas au centre de la ville, vous pouvez faire ce que vous voulez, sans contrôle policier ou d’autres autorités. » En fond sonore, les coups de batterie de Disorder, de Joy Division… Si les groupes punks ont largement occupé l’endroit à ses débuts, les horizons et habitués se sont depuis diversifiés.

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Un autre visiteur, qui nous confie venir ici de temps à autre, a choisi l’endroit aussi bien pour la musique que pour les idées. Comme la France, l’Allemagne flirte avec les mêmes techniques de stigmatisation, envers des populations défavorisées : les Roms sont ici aussi victimes d’une « croisade» politique, et l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel s’est rapidement faite à ces stratégies politiciennes.

Pour ce jeune allemand qui ressemble à Eminem, il y a clairement une recrudescence des comportements fascistes dans la région : même certains de ses amis, blancs, se sont mis à insulter les personnes de couleur à la moindre occasion. Il vient ici pour amasser des arguments, des faits historiques, des idées qu’il pourra leur opposer. Il y a bien des bibliothèques à Francfort, mais le paiement de l’inscription le rebute, et les livres en vente en librairie sont trop chers pour son budget.

À l’intérieur, un auteur discute de son ouvrage sur l’énergie nucléaire et ce qu’elle justifie en termes de comportements nuisibles. « De toute façon, il y aura toujours des combats à mener », note une jeune fille. Espérons que de tels bastions pourront toujours les accueillir

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