L’édition française coûte 52 millions € par an à la société

L’édition française coûte 52 millions € par an à la société

Antoine Oury  / actualitte.com/ 12.09.2017

Le BASIC, Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne, présentait ce matin une étude sur l’impact sociétal et environnemental de l’édition en France, depuis l’exploitation forestière jusqu’au pilonnage et au recyclage du livre. Dans leurs conclusions, les auteurs évaluent notamment le coût sociétal de la filière de l’édition française à 52 millions €, reportés sur la société, pour le seul secteur du « livre noir », le roman en noir et blanc.

Fuente original: L’édition française coûte 52 millions € par an à la société.

Chasse aux livres

(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)

C’est une étude inédite que propose le BASIC, Bureau d’Analyse Sociétale pour une Information Citoyenne, structure d’intérêt collectif qui produit des études pour « nourrir le débat public sur les enjeux de consommation », a étudié la chaîne de valeur à l’origine du livre. Ce document, qui a bénéficié du soutien de la Fondation Charles Léopold Mayer, s’est uniquement intéressé au livre en noir et blanc (qui représente 45 % du CA de l’édition française), mais considère l’ensemble de la filière, de l’exploitation forestière au pilonnage, en passant par la fabrication du papier et la distribution du livre.

Rogner sur les coûts de production

Si le BASIC s’est intéressé à la production de livres, c’est qu’elle présente une caractéristique peu commune : le secteur est en crise, avec une baisse de la dépense des Français pour le livre (de 25 % des dépenses en 1968 à 14 % en 2015), mais l’édition a réagi en surproduisant. De 1970 à 2007, rappelle le BASIC, la courbe de la production de nouveautés n’a pas fléchi, avec une croissance estimée entre + 175 % et + 203 % selon les chiffres.

Bien entendu, les logiques financières et l’émergence de multinationales dans le secteur de l’édition ne sont pas pour rien dans ce phénomène : « On retrouve notamment 3 grands groupes, Hachette, qui représente 35 % du CA de l’édition, Editis et Madrigall », note ainsi Marion Feige-Muller, une des auteurs du rapport. « Ces groupes multiplient les tentatives d’économies dans les coûts de production », explique-t-elle, dans une logique d’amélioration de la rentabilité.

Les maillons de la filière sur lesquels cette rentabilité est produite sont variés, depuis les exploitations forestières et les usines papetières aux points de vente du livre.

Première étape de ce circuit de l’optimisation, la production de pâte à papier, qui commence par l’exploitation forestière : dans ce domaine, le BASIC s’est centré sur la pâte à papier en provenance du Brésil, qui représente 49 % des importations de pâte à papier en France en 2015. Cette matière première est fabriquée à l’aide de l’eucalyptus, un arbre très apprécié de l’industrie forestière grâce à son fort rendement (il arrive à maturité en 7 ans seulement).

Les industriels ont donc multiplié les monocultures avec ce seul arbre, permettant de réduire les coûts de la pâte à papier, mais occasionnant un impact écologique et social sans précédent : mécanisation des exploitations, déforestation, pertes de terres agricoles, pollution de l’eau…

Deuxième étape, l’industrie papetière, qui transforme la pâte à papier en papier. « Aujourd’hui, environ 52 % du papier utilisé pour les romans et essais vendus en France sont importés, et 48 % sont fabriqués en France à partir de pâte à papier produite majoritairement à l’étranger, en particulier en Amérique du Sud », note le rapport. L’industrie papetière « se désintègre », indique le BASIC : les usines de production de papier étaient auparavant proches des lieux de consommation du papier, elles ont désormais tendance à s’implanter dans d’autres pays européens ou émergents, notamment le Portugal.

Le livre est bien un déchet ménager à recycler, comme d’autres

Les conséquences sociales sont sans précédent, et l’industrie papetière française compte désormais une dizaine d’usines, deux fois moins qu’en 2005.

La troisième étape, l’impression, a aussi été touché par un phénomène de délocalisation, vers l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et les pays de l’Europe de l’Est. Dans ces pays, les imprimeurs peuvent réaliser jusqu’à 80 % de leur CA à l’export, tandis que les coûts du travail sont bien moindres, surtout en Europe de l’Est.

En observant ces pratiques et leurs conséquences, le BASIC a proposé une évaluation des coûts sociétaux de la filière de l’édition française. Autrement dit, il s’agit des sommes que doit verser la société pour « réparer » les dégâts environnementaux et sociaux de l’édition française.


Pour proposer des données plus révélatrices encore, le BASIC a évalué l’origine des coûts sociétaux selon la répartition de la valeur totale du livre (le prix d’achat par le lecteur) : « En amont, les activités liées à la fabrication du papier ne représentent qu’environ 9 % du prix final du livre, alors qu’elles génèrent la moitié des coûts sociétaux, en particulier en Amérique latine où se concentrent de plus en plus les approvisionnements français », note le Bureau. La conclusion est révélatrice de l’industrialisation du secteur : « Il semblerait donc que les échelons qui subissent les plus fortes pressions économiques (fabricants de pâtes à papier, papetiers, imprimeurs) et dont la marge diminue soient ceux qui génèrent le plus de coûts sociétaux. »
Avec 52 millions € de frais sociétaux nationaux et internationaux, l’édition française générait 70 millions € de bénéfices en 2015 : « La solution ne serait pas de faire payer l’édition, mais de réaliser les investissements pour réduire ce chiffre», souligne Marion Feige-Muller.

L’industrie déplore le manque de papier recyclé pour imprimer les livres

Des investissements, mais surtout des pratiques : pointée du doigt par le BASIC, on retrouve d’abord la surproduction, et les logiques productivistes qui l’accompagnent. Pour réaliser des économies sur le coût unitaire d’un livre, les maisons d’édition, mais surtout les groupes d’édition, n’hésitent pas à commander d’importants tirages, quitte à piloner massivement à la sortie. Or, ces livres produits pour rien ne seront même pas recyclés de manière vertueuse, causant un double impact économique et environnemental.

L’amélioration de la filière du recyclage française, le retour à une production locale de pâte à papier, la réduction des transports et des allers-retours entre différents pays seraient autant de solutions à mettre en place, selon le BASIC. Reste à savoir si l’industrie est prête à l’entendre…

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