Marché public : aider les libraires de proximité ne dépend que des politiques

Marché public : aider les libraires de proximité ne dépend que des politiques

Nicolas Gary -/ actualitte.com

Aider les librairies locales, dans le cadre de marchés publics, est-ce réellement si difficile ? À l’occasion d’une procédure en référé, la Maison du livre vient de remporter une intéressante victoire pour le secteur. Opposée à la médiathèque départementale de l’Aveyron, la librairie de Benoît Bougerol finit par retourner la situation et le juge de suivre sur trois points essentiels. 

Fuente original: Marché public : aider les libraires de proximité ne dépend que des politiques.

La maison du livre (Rodez)
Maison du livre – ActuaLitté, CC BY SA 2.0

Le référé lancé par Benoît Bougerol réclamait la suspension d’un premier appel d’offre perdu par le libraire au profit de Fnac Alizée, pour un lot livraison rapide et littérature adulte, remporté par Decitre. Une procédure d’urgence qui a heureusement pu être conclue : « S’il nous avait fallu plaider sur le fond, cela aurait eu pour conséquence de paralyser l’établissement et les commandes publiques durant la période de la procédure », note Benoît Bougerol.

Une telle situation, on s’en doute, ne profite pas à la réputation du plaignant, qui se met rapidement à dos la commune, le département ou la région…

Le référé ne contestait donc pas l’attribution des lots, mais la notation dans l’appel d’offres : selon Benoît Bougerol, les notes attribuées étaient difficiles à comprendre, et manquaient d’explications. Ces dernières obtenues, le référé fut alors décidé.

La preuve par trois

Trois points sont alors revus par le tribunal. Le premier, celui du lot à livraison rapide, n’avait pas beaucoup de sens. Accordé à Fnac Alizée, il représente des commandes ponctuelles, d’un livre ou deux, assez rares dans tous les cas. Le référé contestait l’argument de la livraison rapide par Chronopost, ce qui pour un ou deux livre n’a aucun sens économique.

En effet, si Alizée met deux jours, avec les frais d’un chronopost, la maison du livre met une demi-journée, le temps d’un coup de voiture. Ici, le juge a suivi le libraire, sans peine. « C’était surtout une offre aberrante », indique Benoît Bougerol. Au point que le nouvel appel d’offres n’a plus pris ce lot en compte.

L’autre élément, non moins cocasse, portait sur le stock disponible. Ici, la maison du livre obtenait une moins bonne note que Decitre, car elle disposait de moins de titres. « Cette approche était discriminatoire, car ce qui importe est de fournir tous les livres. Sinon seul le plus gros fournisseur national peut avoir la meilleure note, excluant tous les autres. »

En tant que librairie de premier niveau, tous les comptes sont ouverts chez les fournisseurs possibles. Le problème venait d’ailleurs du fait que l’écart de notation était très faible entre les deux opérateurs. « C’est presque un début de jurisprudence qui dit que ce n’est pas l’importance du stock dans l’absolu qui peut être un critère. L’enjeu c’est de fournir les livres et dans les délais : le stock ne constitue pas un élément de réalisation du marché. »

Une révolution dans les marchés publics

Mais toute la profession est restée bouche bée à la découverte du troisième point. Depuis plusieurs années, la librairie indépendante revendique le recours aux commerces de proximité dans le cadre d’appel d’offres. Problèmes : souvent moins bien rodé, face aux enseignes, le secteur se fait souffler les marchés.

Ici, Benoît Bougerol a fait valoir une formulation empruntée à l’appel d’offres de la Médiathèque Départementale de la Haute-Garonne, et qui se retrouvait dans l’appel d’offres perdu. Il était ainsi écrit que le choix du porteur de projet devait s’opérer.

Puisque le prix du livre est fixe, il n’existe pas de variable, et une remise de 9 % pour tout le monde. C’est donc la question des frais engagés par la collectivité qui peuvent jouer. « La logique voudrait que la collectivité évalue alors l’ensemble des frais qu’elle va engager, et ils peuvent être non seulement nombreux, mais surtout importants. »

De quels frais parle-t-on ? Simple : une commune demande à pouvoir consulter les ouvrages en magasin, en voir la qualité, etc. Si des bibliothécaires doivent être envoyés en déplacement, cela implique plusieurs éléments faciles à lister : voyage, temps de travail, absence, hébergement, repas. De petites sommes qui peuvent s’additionner.

« Comment alors privilégier dans un appel d’offres un prestataire qui serait à plusieurs centaines de kilomètres, alors qu’un autre est bien plus proche », interroge Benoît Bougerol ? Or, il est interdit d’offrir les frais que génèrent ces déplacements : « Il y a des cas d’enseignes, ou de grandes librairies, qui ont vu leurs projets refusés pour avoir tenté de contourner ce point. »

Faire travailler le commerce de proximité, véritablement

On le comprend, une collectivité qui serait contrainte de prendre ces frais en charge, doit également les prendre en compte dans l’examen de l’offre. « Ici, c’est un début de jurisprudence qui dit que pour choisir les livres et visiter les fournisseurs les plus proches ont un moindre coût ce qui doit se refléter dans la note économique », nous précise Benoît Bougerol.

Il importait donc que la note économique des fournisseurs soit diminuée en fonction. « Tout cela va dans le sens du nouveau Code des marchés publics, pour les achats de moins de 90.000 €, tout en privilégiant les libraires d’un territoire. À conditions que la volonté politique soit présente. »

Un bibliothécaire note : « De plus, ceux qui ont expérimenté des grosses librairies faisant partie de chaînes savent que l’engagement de fournir un libraire qui accompagne le choix et conseille n’est absolument jamais respecté. Dans le suivant, la librairie reprend les mêmes engagements jamais respectés et on nous ordonne de mettre la note maximum, car il s’agit d’un nouveau marché et qu’on ne peut présumer de la mauvaise foi du fournisseur. 

Et d’ajouter : « De la même manière, je trouve inadmissible que les coûts de déplacements en termes d’heures de travail payées ne soient pas pris en compte dans le marché. Dans certains cas, nous parlons de plus de 6 heures de transport aller-retour. Avec en prime la prise en charge par l’employeur des frais repas du midi et parfois du soir. »

L’enjeu, dans tout cela, et le but pour le ministère de la Culture, autant que pour les bibliothécaires, « est de pouvoir collaborer avec un libraire, qui, sur place, permet de réaliser des économies », conclut Benoît Bougerol. Cela semble sur la bonne voie.

Le problème se situe souvent au niveau de la direction ou des élus en charge des marchés. À ce titre, le vade-mecum publié par le ministère de la Culture donne déjà des pistes pour rédiger un appel d’offres de manière la plus satisfaisante possible. A priori dans la future mouture du vade-mecum (qui doit aussi intégrer les nouvelles règles des marchés, notamment le marché de gré à gré pour les livres jusqu’à 90 k€) il devrait être fait état de ce référé.

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