RAAP : “Plus que la paupérisation, c’est une disparition des auteurs qui se profile”

RAAP : “Plus que la paupérisation, c’est une disparition des auteurs qui se profile”

Nicolas Gary / actualitte.com

Les négociations qui intervenaient dans le cadre de la réforme de la retraite complémentaire des auteurs ont tourné court. Si le ministère de la Culture a fait preuve de toute la bonne volonté possible, les organisations d’auteurs sont déconfites devant la réaction du ministère des Affaires sociales. Discussions « bancales », où les représentants des auteurs « ont assez peu eu accès à la parole ». Le tout se conclut sur une note très pessimiste…

 Fuente original: RAAP : “Plus que la paupérisation, c’est une disparition des auteurs qui se profile” – Les univers du livre.

Marche des auteurs à Angoulême

ActuaLitté, CC BY SA 2.0

Pour comprendre les effets de la réforme, il faut se plonger dans ce qui a été conclu. D’abord, il y eut le décret d’application paru le 30 décembre au Journal officiel, passé « en catimini » et qui entérine le vote du 24 septembre par le Conseil d’administration du RAAP. Il ne fait que repousser à 2017 ce qui devait entrer en application en 2016, avec différentes périodes transitoires.

Désormais, une cotisation de 8 % sera obligatoire pour tous les auteurs atteignant au moins 26.109 € de revenus bruts. De quoi rapporter 70 millions € selon l’IRCEC-RAAP, qui pilotaient la réforme, au lieu de 30 millions € recueillis actuellement.

À titre d’exemple, dès la première année d’application en 2017, un artiste-auteur qui cotisait en classe spéciale et dont les revenus avoisinent le montant net du SMIC verra sa cotisation de retraite complémentaire augmenter de 23 % avec un taux de 4 %, de 53 % avec un taux à 5 % et de 145 % avec un taux de 8 %. Si ses revenus avoisinent le montant brut du SMIC, il verra sa cotisation de retraite complémentaire augmenter de 57 % avec un taux de 4 %, de 96 % avec un taux à 5 % et de 214 % avec un taux de 8 %. (voir Comprendre la réforme)

Si la réforme s’applique en 2017, elle portera bien sur les revenus de 2016. Pour les auteurs du livre et de l’écrit, la SOFIA doit abonder à la hauteur de 50 % des cotisations, mais pour les plasticiens, inscrits à la Maison des Artistes, cela aura des conséquences funestes.

En dépit du seuil la porte est restée bien fermée

Dans tout cela, une maigre consolation a été apportée : les auteurs percevant moins de 26.109 € pourront profiter d’un taux de 4 %. Une concession qui n’a rien de pérenne, puisque, dans le décret même, le principe de sa suppression est envisagé. Surtout que le taux de 4 % sera optionnel – si personne n’en fait la demande, ce sera tant pis.

« Le truc absurde, c’est qu’à la fin de l’année, le cotisant qui aura gagné 26 110 € bruts se retrouvera moins riche de 1044 € que celui qui aura gagné deux euros de moins », nous explique le SELF, Syndicat des écrivains de langue française. Avec les autres organisations représentant les artistes auteurs, ce dernier plaidait pour la création de paliers intermédiaires, plus à même de s’adapter à la réalité des créateurs.

« Grosso-modo, le pire c’est l’effet de seuil qui se produit dès qu’un cotisant franchit l’équivalent revenus de 3 seuils d’affiliation Agessa ou MDA : 26, 27000 €, c’est pas non plus les super-pauvres, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit là de revenus bruts avant les autres cotisations sociales qui ramèneront ces revenus autour de 21-22000 net. Dans ces conditions, les 500 à 1000 € de cotisation RAAP supplémentaires rendront ces gens plus pauvres que ceux qui auront gagné une somme toute proche mais inférieure à ces trois seuils. »

Seul échappatoire, le renouvellement du RAAP ?

 Pour le SELF, qui déplore l’insuffisance totale des concertations, une autre raison d’enrager se profile. « Les professions indépendantes ont obtenu des délais de mises en place pour les réformes qui les concernent jusqu’à 15 ans. Pour les artistes auteurs, ce sera 4 années – sauf que le CA du RAAP se réserve le droit de changer les taux chaque année. »

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir sollicité Marisol Touraine, avec une lettre ouverte soignée – « nous n’avons reçu aucune réponse probante ». Seule la rue de Valois a tenté de maintenir le dialogue, apprend-on. « Et encore, avec pas mal d’embarras dans les relations interministérielles : les Affaires sociales avaient la main sur le dossier, et ne voulaient rien entendre. »

Le dernier recours existe : attendre que le CA du RAAP soit modifié ; la chose est prévue l’année prochaine avec le renouvellement du CA. Mais là encore, il importerait que les membres ne soient plus élus en leur nom propre : « Aujourd’hui, il suffit d’être auteur pour se présenter, sans qu’il soit nécessaire d’avoir une quelconque représentativité. »

The winner takes it all (refrain connu)

 Du côté du SNAC BD, les impressions sont les mêmes. « Comme si la réforme avait été décidée bien avant que l’on nous consulte. Nos interlocuteurs ont seulement accepté, et avec beaucoup de difficulté de changer leur feuille de route ». Et plus doucement, on reconnaît aussi que la difficulté des artistes-auteurs à se mobiliser n’a pas joué en faveur des organisateurs. Un manque de pragmatisme ? « Quand le SNE négocie, ils ont tous des intérêts divergents, mais ils trouvent les mots pour défendre leur secteur », avoue un auteur. « On a obtenu quelques concessions, mais pas énormes surtout vu la possibilité de tout remettre à plat. »

Une certaine amertume, donc, et l’idée que le ministère de Marisol Touraine avait de toute manière accepté l’idée que, pour l’omelette de la réforme, on casserait des œufs. « Le problème, c’est qu’il faudrait changer de métier. Le régime de salarié, ça leur convient mieux parce que c’est plus balisé. Auteur, c’est dérogatoire, avec des options et des particularismes – on représente un manque à gagner », poursuit un dessinateur, présent au cours des négociations.

Faudrait-il que les artistes-auteurs soient ponctionnés dès le premier euro gagné ? L’auteur insiste : « En fait, on est considéré, au mieux comme de mauvais payeurs, au pire, comme des hors-la-loi, d’autant plus dans le contexte actuel où les caisses sont vides. »

Dès 2018, une révision sera possible de ces fameux seuils, à peine une année après leur mise en place – et comment constater les effets en si peu de temps ? « On va devenir de plus en plus des salariés indépendants, avec les désavantages de l’un et de l’autre, pour se fondre dans le régime général… »

La réforme, certes, était nécessaire, reconnaît le SNAC BD, même si le précédent régime « était adapté à la situation des auteurs ». Il y avait des défaillances, et des difficultés rencontrées avec l’Agessa, notamment. « Peut-être les auteurs manquaient-ils de rigueur, mais ils étaient de bonne foi, face à un modèle confus. »

À l’horizon, plus de questions, encore

C’est que la réforme qui se mettra en place interroge avant toute chose le statut de l’auteur. « Plus qu’une paupérisation, c’est une disparition des auteurs qui est en ligne de mire : beaucoup de choses changent, et d’autres changeront plus encore. On s’oriente vers une précarisation et un morcellement du travail, parce que la sécu souhaiterait que nous soyons tous des CDI à temps plein. »

La Marche des auteurs

Marche des auteurs au Salon du livre de Paris, 2015 – ActuaLitté, CC BY SA 2.0

L’auteur ne se passera pas de son éditeur, à l’avenir, « mais il devra peut-être le contourner pour se sauver. Travailler avec une maison de temps à autre, et se positionner comme auto-auteur, sur le modèle de l’autoentrepreneur, d’autres fois », estime un scénariste. « Auteur, demain, qu’est-ce que cela signifie ? Ce n’est pas la même chose fiscalement, au niveau de la sécurité sociale, dans la législation, et en pratique, n’en parlons pas. »

Des auteurs autopubliés, bientôt comme norme ? « Le problème c’est que les bourses comme celle du CNL sont calquées sur un modèle tiré des années 70. Il faut un contrat d’éditeur, voire plusieurs, sinon on n’y souscrit pas. Et dans le même temps, on ne peut pas distribuer sans limites un argent qui se raréfie. Il y a d’autres types de subventions et elles suivent le même principe : pour être auteur, il faut être publié par un éditeur. »

Le monde de demain aura besoin de nouvelles balises, qu’il faut définir rapidement maintenant. « Les soutiens actuels ne concerneront bientôt plus que l’establishment, et de moins en moins de gens : ceux qui marchent très bien, ceux qui sont sur Paris, ceux qui ont le bon réseau, et les bons contacts… »

Peut-être est-ce face à Marisol Touraine qu’il aurait fallu se mettre à nu ?

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