
La librairie, un commerce “anti-récession” ?
— 22 marzo, 2023Antoine Oury / actualitte.com / 20-03-2022
Après des années de sincères condoléances, le commerce de la librairie peut se targuer d’une résilience certaine face à la montée en puissance d’Internet, la désertion des centres-villes et la crise sanitaire. Le titre Forbes le place même à la tête des commerces les plus « imperméables à la récession »…
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Au début des années 2010, l’effondrement de la chaine américaine Borders semble sonner le glas des librairies, outre-Atlantique. Qui aurait pu imaginer, plus d’une décennie plus tard, que la vente de livres figurerait en tête des commerces les plus résistants à la récession ?
Le journal Forbes, qui classe les grandes fortunes mondiales et fait toujours office de publication de référence dans les domaines de l’économie et de l’entrepreneuriat, place ainsi les librairies en pôle position des activités sur lesquelles miser en 2023.
Des livres “plutôt bon marché”
Pour établir son classement, Forbes s’appuie sur les statistiques du Département du Travail des États-Unis ainsi que sur des tendances du moteur de recherche Google. Un croisement est réalisé entre différentes données, pour obtenir un score général : le nombre d’enseignes ouvertes pendant la « Grande Récession » (la crise économique de 2008) et la période pandémique, la croissance des salaires du secteur et l’investissement de départ nécessaire.
À ce petit jeu, la librairie sort vainqueure, avec 43 % de hausse des ouvertures de commerce sur la dernière partie de la crise sanitaire, un faible investissement de départ et des rémunérations qui ont connu des hausses après la Grande Récession (+ 13 %) et la pandémie (+ 16 %).
Attribuant au livre un statut de « valeur refuge », Forbes développe en indiquant que le médium bénéficie d’un prix relativement stable et « plutôt bon marché » lorsqu’on le rapporte au temps de divertissement qu’il représente. En somme, pour moins d’une vingtaine de dollars, plusieurs heures d’évasion et de loisir sont garanties…
Le bon bilan des librairies
Le verdict enthousiaste de Forbes à l’égard des librairies n’est pas isolé. Sur plusieurs marchés occidentaux du livre, elle peut se targuer d’une vivacité renouvelée en des périodes plutôt moroses pour d’autres commerces.
Aux États-Unis toujours, l’American Booksellers Association, organisation professionnelle, annonçait 2023 magasins membres à la mi-2022, un chiffre bien supérieur aux 1689 de début juillet 2020. Au Royaume-Uni, le constat est similaire, avec 1072 adhérents fin 2022, contre 1027 un an auparavant pour la Booksellers Association. Précisons que ces membres ne représentent bien sûr pas l’intégralité des librairies des pays…
En France, le Centre national du Livre a récemment dressé un bilan de l’année 2022 pour les librairies : 142 créations ont été décomptées, pour 27 fermetures, soit un solde net de 115 établissements, auquel s’ajoutent 51 reprises. Le rapport moyen atteint donc une fermeture pour 3,3 créations…
Le bilan positif ne s’étend pas, toutefois, aux chaines de librairies, bien plus touchées que les commerces indépendants par les aléas économiques, semble-t-il. En France, le début d’année 2022 a été marqué par la fermeture d’un nombre considérable de boutiques France Loisirs, avec 88 rideaux baissés définitivement…
Certains types de librairies sont aussi plus exposés à un marché changeant : au Royaume-Uni, l’enseigne Blackwell’s, constituée d’une vingtaine de librairies universitaires, a ainsi fait l’objet d’une vente en 2022 à Waterstones, renforçant la position dominante de cette dernière chaine.
Un peu d’ombre au tableau
On s’en doute, ces données économiques manquent un peu de facteur humain. Si Forbes évoque des rémunérations en hausse dans le secteur de la librairie, une étude menée par la municipalité de New York estime le salaire annuel moyen à 39.000 $, quand le seuil de 53.000 $ est considéré comme le minimum pour subvenir à un niveau de vie décent dans la ville.
Ce même rapport, propre à New York, signalait de fortes chutes des emplois dans le domaine de la librairie, avec une baisse de 56 % entre 2010 et 2020. Les commerces des grandes villes pourraient ainsi rencontrer plus de difficultés à perdurer et à se développer, malgré la présence d’un plus grand bassin de clients potentiels.
D’ailleurs, les créations-reprises récentes de librairies, en France, se localisent surtout dans les petites villes (de 5000 à 20.000 habitants, à 29 %), les villages (moins de 5000 habitants) et les villes moyennes (de 20.000 à 100.000 habitants), selon une étude de la société de conseil Axiales commandée par le Syndicat de la Librairie française (SLF).
Des salaires en stagnation
Cette question des salaires des libraires préoccupe de plus en plus les travailleurs et travailleuses du secteur, en France. Les discussions entre les syndicats représentatifs des salariés et le syndicat patronal, le SLF, autour des revalorisations des rémunérations sont récurrentes, mais les difficultés pour s’entendre sur les montants également.
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Récemment, des initiatives de salariés, notamment à l’occasion de la mobilisation contre le projet de réforme du système de retraite, ont remis en avant cette souffrance vis-à-vis d’un métier qualifié aux rémunérations stagnantes, voire en régression avec l’inflation.
« Nous sommes face à des grilles de salaires qui ne correspondent à rien, qui n’évoluent pas. On tire sur la corde des salariés en faisant valoir le métier-passion, la survie de l’entreprise. Les situations de harcèlement, de burn-out, sont fréquentes, tout comme l’exploitation des apprentis », témoignait Sana, adhérente du syndicat CGT Librairies, en février dernier.